Violences conjugales : "Le conjoint violent doit être traité psychologiquement dès la première gifle"

Inégalités et Discriminations

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Alors que le Grenelle des violences conjugales promis par Marlène Schiappa doit débuter ce 3 septembre, l’ancien procureur de la République de Douai, Luc Frémiot, regrette un dispositif de nouveau à côté de la plaque. L’urgence est pour lui d’appliquer l’arsenal législatif en place et de contrôler les fonctionnaires de police et les procureurs.

Marlène Schiappa l’a répété tout l’été. Le coup d’envoi du Grenelle des violences conjugales, c’est le 3/9/19, un clin d’œil au numéro d’écoute national, le 3919, destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. La mesure avait été annoncée début juillet par la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, au lendemain d’une marche parisienne rassemblant près de 2000 personnes, pour réclamer des mesures concrètes face au décès 74 femmes (on en compte désormais 97) sous les coups de leur conjoint depuis le début de l’année.
Autour de la table de ce Grenelle qui doit s’achever le 25 novembre prochain (date de la journée internationale des droits des femmes), Marlène Schiappa promet la présence d’associations, de services de police et de justice, de personnels soignants et de psychologues ou encore d’avocats ainsi que des ministères concernés. Objectif, pour le moins flou à cet instant précis : « formuler des propositions » et « s’écouter entre acteurs ». Et pour ne mettre personne de côté, la secrétaire d’Etat a annoncé la tenue, en parallèle, de 81 Grenelles régionaux.
« Une mauvaise réponse, complètement à côté du sujet », tranche Luc Frémiot, ancien procureur de la République de Douai, spécialisé dans les violences conjugales. Car selon lui, « des lois existent et il est nécessaire, avant tout, de les faire respecter pour enfin faire baisser le nombre de féminicides ». Début juillet, il a d’ailleurs lancé une pétition avec la comédienne Eva Darlan, pour exiger de l’État une enquête « sur les dysfonctionnements qui ont conduit à la mort de dizaines de femmes depuis janvier ». Pour éviter le pire, Luc Frémiot, aujourd’hui magistrat honoraire et lanceur d’alerte, comme il aime à se qualifier, demande à Nicole Belloubet et Christophe Castaner de contrôler leurs services et d’ouvrir davantage de centres de traitement pour les conjoints violents. Entretien.

Marianne : Quel constat faites-vous de la situation de la lutte contre les violences conjugales en France ?

Luc Frémiot : C’est catastrophique. Au début de l’été il y avait 71 victimes de violences conjugales. Fin août, nous en avons 97 sur la conscience. Qu’a-t-on fait pendant l’été ? Rien. On a repoussé ça tranquillement à la rentrée. C’est inacceptable. Je suis par ailleurs assez choqué par ce Grenelle que l’on nous présente comme l’ultime solution.

« Le problème est que des femmes victimes ne sont pas accueillies comme elles devraient l’être. »

Dans une interview à Franceinfo, vous avez d’ailleurs dit : « Marlène Schiappa est complètement à côté de la question avec son Grenelle des violences conjugales ». Pourquoi ?

Aujourd’hui il faut être pragmatique. Marlène Schiappa n’est pas mon ennemie. J’écoute simplement ce qu’elle dit et en l’occurrence, c’est très souvent à côté du sujet. Dans ce Grenelle, il y a à la fois tout et rien. J’entends parler de ”problème culturel”, de ”problème de sensibilisation”, d’éducation… Certes, mais aujourd’hui nous ne sommes plus dans la philosophie de la campagne à mener, nous avons besoin d’appliquer les lois. Dans une interview à Franceinfo, ce mardi 27 août, elle a dit que le problème des violences faites aux femmes était la lenteur des procédures judiciaires. Mais ce n’est pas là la question. Le problème est que des plaintes ne sont pas prises dans certains commissariats et que des femmes victimes de violences ne sont pas accueillies et soutenues comme elles devraient l’être dans ce genre de situation. Si les policiers ne prennent par les plaintes, il n’y a même pas de procédure judiciaire. Alors de quoi parle-t-on ? Ensuite, elle dit que l’on est en responsabilité collective et que les témoins ne parlent pas assez. Mais il faut arrêter de renvoyer la responsabilité sur les autres. Cette énergie qu’elle déploie de médias en médias, elle aurait pu la consacrer à l’aspect fondamental des choses.

« Castaner et Belloubet n’ont toujours pas compris ce qu’il se passe »

Quel est l’aspect fondamental des choses selon vous, la première mesure à mettre en place ?

Ce Grenelle nous permet de voir que nos autorités, enfin les ministres en charge de ces affaires-là, soit monsieur Castaner, le ministre de l’Intérieur, et madame Belloubet, la garde des Sceaux, n’ont toujours pas compris ce qu’il se passe. Parce que s’ils avaient compris, ils se seraient d’abord occupés de faire respecter les lois qui existent. Aujourd’hui on a un arsenal juridique très complet qui permet dans certains cas de prévenir les violences, mais aussi de protéger les victimes ainsi que de réprimer plus fermement les auteurs. Le procureur de la République peut à lui seul, décider de l’éviction du conjoint violent et le placer dans un centre médico-psychologique. Il y a aussi les ordonnances de protection qui peuvent s’appliquer dans des situations de couples mariés mais séparés, concubins ou encore pacsés. Appliquons les textes de lois comme ils le sont et créons des centres d’accueil pour les hommes afin qu’ils soient traités par les psychiatres et les psychologues.

Justement, Marlène Schiappa se dit « gênée » de consacrer un budget logement aux hommes violents alors qu’il n’est déjà pas suffisant pour les femmes…

Pour certaines personnes, cela paraît invraisemblable, mais ce n’est que du bon sens. A mes débuts en tant que procureur de la République de Douai, j’ai été très choqué de voir que dans toutes les situations de violences conjugales ce sont les femmes qui partent de leur domicile avec leurs enfants sous le bras. Est-ce normal que ce soit aux victimes de partir et non à l’auteur des violences ? Moi je dis que c’est inacceptable. Aujourd’hui on ne traite pas le problème à la racine. En général le conjoint est condamné à une peine avec sursis, puis il recommence. C’est ça qui me met hors de moi et à aucun moment Marlène Schiappa ne s’exprime clairement là-dessus.

« Des gens disent : ‘on ne va pas commencer un traitement psychologique pour une gifle’. Mais si, justement ! »

Vous aviez mis en place cette méthode dès 2003 avant même que la loi ne l’encadre en 2005. Comment cela fonctionnait-il ?

Premièrement j’ai mis en place une politique de tolérance zéro. C’est-à-dire qu’à la moindre plainte, je faisais sortir le conjoint du domicile pour la durée de la procédure judiciaire. Il y a des gens qui me disaient et qui disent toujours, ”mais attendez on ne va pas commencer un traitement psychologique pour une gifle”. Mais si justement ! Certains, dans les institutions policières, attendent qu’il y ait huit jours d’interruption de temps de travail pour prendre en considération les dires de la victime… Or, plus on attend, plus les violences sont graves et plus les cycles de violence sont rapprochés. Ces hommes doivent être pris en compte dès le début dans le processus d’aide aux victimes.
A l’époque, n’ayant pas de lieu propice où les mettre, j’avais passé un pacte avec les compagnons de l’espoir de Douai, qui à la base hébergeaient des sans-abris. En général ces petits tyrans domestiques, quand vous les sortez de chez eux, ils ne montrent pas le même visage. Ils se retrouvaient brusquement dans ce foyer où il fallait qu’ils participent aux tâches ménagères… S’ils avaient un travail, ils y allaient, donc ils n’étaient pas désocialisés. Là-bas ils étaient en premier lieu en lien avec des éducateurs qui leur posaient des questions sur leur passage à l’acte. Et puis ils se faisaient quelque peu intimider par des sans-abris qui demandaient ”pourquoi t’es là toi, t’as une maison, une famille”. Ils se faisaient afficher et ça pouvait les faire réfléchir. Ensuite je les confiais à un groupe de psychologues et de psychiatres qui tentaient dans un premier temps de comprendre la source de leur acte et leur apprenaient à maitriser leur violence. Après ça, on a mis en place des protocoles avec des suivis post décision judiciaire. Au final, nous avons eu des taux de récidive à 6%. Un chiffre résiduel par rapport à ce que l’on voyait avant.

Lire la suite de l’entretien sur le site www.marianne.net

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