Dans son documentaire “Harcèlement sexuel, le fléau silencieux”, Olivier Pighetti interroge quatre femmes victimes de harcèlement sexuel et qui, malgré leur souffrance, ont accepté de parler à visage découvert.
En donnant la parole à quatre femmes victimes de harcèlement sexuel, le documentariste Olivier Pighetti dévoile avec tact une souffrance souvent minimisée. Et pointe, à travers leur combat, les défaillances des institutions judiciaires face à ce « fléau silencieux ». Son constat accablant entend remuer les consciences.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce sujet ?
J’entendais parler du harcèlement sexuel dans l’actualité sans vraiment prendre la mesure du phénomène. J’ai été stupéfié par l’ampleur des traumatismes des victimes. Je ne m’y attendais absolument pas. Devant la caméra, les gens cherchent généralement à garder une certaine contenance mais là, les émotions ont surgi de façon très brute, comme lorsque Gwenaëlle passe devant son ancien bureau et s’effondre. Tout ça à cause de mots… Il était important de montrer les dégâts psychiques causés par cette forme d’emprise qu’est le harcèlement sexuel.
C’est un phénomène difficile à faire comprendre à ceux qui ne l’ont pas côtoyé…
A chaque fois que je parle de ce sujet autour de moi, les gens — des hommes comme des femmes — ont tendance à relativiser. A leurs yeux, ce n’est pas si dramatique. Même au niveau des syndicats, les plaintes sont souvent accueillies avec des haussements d’épaules. Il est redoutable pour une victime d’entendre des réflexions comme « ce sont des blagues de corps de garde, pas la peine d’en faire une maladie ». Le harcèlement sexuel n’a rien à voir avec ça : il s’agit d’une forme de persécution morale motivée par le désir de l’agresseur de posséder quelqu’un, de l’avilir et de l’asservir.
Comment avez-vous convaincu ces femmes de témoigner ?
J’ai d’abord effectué un travail de fourmi dans les tribunaux pour dénicher des affaires en cours. L’association AVFT [l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, ndrl], qui est débordée de cas, m’a apporté son aide. Ma démarche a été compliquée car je voulais absolument que les témoins s’expriment à visage découvert. Je leur ai pratiquement demandé d’avoir une attitude militante. Je ne voulais pas de demi-mesure : elles devaient se sentir à l’aise et libres de tout dire. Les deux jeunes femmes d’Amiens qui s’expriment dans le film ont accepté car elles avaient l’impression de n’avoir été écoutées par personne.
Pensiez-vous découvrir de tels manquements dans le traitement judiciaire de ces affaires ?
Je ne m’attendais pas à un tel laxisme de la justice. Ces affaires embarrassent : c’est « parole contre parole », les enquêtes sont longues car il faut interroger beaucoup de gens, les policiers sont débordés… et les preuves sont rares. J’en profite pour souligner que, contrairement à une idée reçue, les enregistrements sonores constituent des preuves recevables qui ont souvent un poids très important devant les tribunaux. Les femmes doivent savoir qu’un téléphone portable ou un petit enregistreur peut leur permettre de se défendre.
La force du film tient aussi au suivi dans la durée de chaque affaire, jusqu’au jugement…
Cela a été d’une lenteur inouïe. Les tribunaux sont submergés. Ils manquent de moyens, de personnel, et considèrent ces affaires comme secondaires. Il y a eu énormément de reports d’audience. Le tournage s’est étalé sur un an et demi. Heureusement, j’ai été épaulé par la chaîne. Au départ, je devais réaliser un cinquante-deux minutes, puis France 5 a estimé que ça valait le coup d’aller plus loin. Le format est passé à soixante-dix minutes.
Quel peut être l’impact d’un tel film ?
Je suis toujours mitigé sur ce point. Notre travail de documentariste n’est qu’une goutte d’eau. Le harcèlement sexuel est un problème de société profond. Une réelle prise de conscience dépend certes des pouvoirs publics mais surtout des citoyens. Elle prendra sans doute plusieurs générations. Au moins, je sais que pour les femmes qui ont offert leur témoignage, qui ont pu enfin parler et expliquer leur histoire à leur famille, le film a été libérateur. Pour elles, il a fait une différence.
Via Télérama
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Et la vidéo : Le harcèlement sexuel au travail, par Marylin BALDECK