Présent dans tous les secteurs d’activité, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail a des effets néfastes sur la santé qui sont assez peu documentés et insuffisamment médiatisés, selon Viviane Gonik, spécialiste de la santé au travail.
Les faits de harcèlement sexuel sont toujours plus visibles et tous les secteurs de la société sont mis en cause, que ce soit l’enseignement, l’Église, le monde du spectacle, de l’édition ou du sport. En Suisse, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est défini par l’article 4 de la Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg) comme une discrimination et une atteinte à la dignité. Au-delà de la souffrance exprimée par les victimes, on peut se demander quels sont les effets de ces agissements sur leur santé.
Une recherche bibliographique m’a laissée perplexe: il n’existe que peu d’études s’intéressant aux effets du harcèlement sexuel sur la santé des travailleurs/euses comparativement à l’abondante littérature sur les conséquences du mobbing (ou harcèlement psychologique) – comme si le thème n’intéressait pas le monde scientifique. S’agirait-il d’une forme de cécité sélective faisant miroir à la surdité des responsables et des médias face aux plaintes des victimes?
Une étude étasunienne parue en 2018 dans la revue Jama Internal Medecine1 s’est intéressée à la santé mentale et physique des femmes d’âge mûr en association avec le harcèlement et les agressions sexuelles subies au cours de leur vie. Ses auteur-e-s se sont plus particulièrement consacré-e-s à l’hypertension, la dépression, l’anxiété et les troubles du sommeil. Quelque 304 femmes âgées entre 40 à 60 ans (âge moyen: 54 ans) et non fumeuses ont été incluses dans la cohorte. Leur expérience a été rapportée au moyen d’entretiens, de questionnaires et de mesures physiologiques. Parmi les participantes, 19% avaient déjà subi une forme de harcèlement sexuel au travail et 22% des violences sexuelles. Elles étaient 10% à rapporter avoir subi les deux.
Ces chiffres sont inférieurs aux estimations étasuniennes, selon lesquelles entre 40 et 75% des femmes ont été victimes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail et 36% de violences sexuelles. La sous-estimation s’explique notamment par le fait que les fumeuses ont été exclues de l’étude. «Le fait de subir des violences, en particulier sexuelles, est un facteur de risque important de conduite addictive, avec des impacts en termes de risque cardiovasculaire. En n’incluant pas les fumeuses, les auteurs ont éliminé une partie des femmes ayant subi des violences sexuelles, Malgré cette exclusion, l’impact sur la santé est significatif», indique une psychiatre française, spécialiste de la mémoire traumatique, en commentaire à ces travaux.2
Ainsi la conséquence du harcèlement a pu être mesurée statistiquement, selon la méthode de l’odds ratio3 qui permet de mettre en évidence une association entre le facteur de risque et la maladie étudiée. Il ressort de l’étude que les femmes victimes de harcèlement sexuel présentent davantage d’hypertension et de troubles du sommeil que les femmes non harcelées. Quant aux violences sexuelles, elles apparaissent associées à davantage de symptômes dépressifs, d’anxiété et de troubles du sommeil.
Des atteintes physiques et psychiques
Une autre étude, belge celle-ci, avait en 2005 pu mettre en relation mobbing, harcèlement sexuel et santé4 au moyen notamment d’une enquête quantitative portant sur la violence au travail, réalisée sur un échantillon de 2000 personnes représentatif de la population active du pays. Selon ses auteur-e-s, il est difficile pour les victimes de harcèlement sexuel au travail d’en identifier les effets sur leur état de santé: l’association entre les faits et leurs conséquences est moins souvent mentionnée par les victimes de ce type de harcèlement (48,5%) que par les victimes de mobbing (64,4%). «Cette proportion est toutefois suffisamment importante pour que l’on puisse affirmer que des effets négatifs du harcèlement sexuel sur la santé existent», relèvent les auteur-e-s. Et, en ne considérant que les femmes, beaucoup plus nombreuses que les hommes à déclarer avoir été exposées au harcèlement sexuel, elles sont 59,7% à signaler des problèmes physiques et psychiques en lien avec les faits subis.
Par ailleurs, parmi les victimes rencontrées dans le cadre de l’enquête, certaines se sont exprimées longuement au sujet de leurs souffrances, décrivant de manière détaillée différentes catégories de symptômes. Les symptômes physiologiques se manifestent en termes de troubles (cardio-vasculaires, digestifs, sexuels et du sommeil), de douleurs, d’épuisement et de fatigue. Concernant les symptômes psychologiques, les récits mettent essentiellement en avant l’estime négative de soi, mais aussi l’anxiété, la panique, la mauvaise humeur, l’irritabilité, les troubles cognitifs, les crises de larmes, les abus de tabac, d’alcool, de médicaments, les idées suicidaires.
Ces conséquences ne portent pas seulement sur l’état de santé de la victime. Elles se traduisent également par une «déperdition collective» pour l’entreprise, dont les caractéristiques majeures sont l’absentéisme pour maladie et une démotivation au travail.
Une méta-analyse publiée en 2007 dans la revue Personnel psysychology, qui passait au crible une quarantaine d’études portant sur les antécédents et des conséquences du harcèlement sexuel au travail5 (soit un échantillon représentant au total de près de 70?000 individus) a montré que le harcèlement sexuel était l’un des obstacles les plus forts à la réussite professionnelle et à la satisfaction des femmes au travail. Les expériences de harcèlement sont associées à une baisse de la satisfaction au travail, un engagement organisationnel plus faible, un retrait du travail, une mauvaise santé physique et mentale, voire des symptômes de trouble de stress post-traumatique.
On peut rapprocher le tableau clinique du harcèlement sexuel sur le lieu de travail et celui du mobbing.6 Le premier est d’ailleurs souvent lié au second, surtout quand la victime résiste aux avances qui lui sont faites. Il s’agit par ailleurs de deux formes de violence ayant des caractéristiques semblables. Dans les deux cas, on met en péril le professionnalisme des personnes et leur droit à occuper leur poste de travail soit en les empêchant de faire bien leur travail, soit en leur signifiant qu’avant d’être des professionnelles, elles sont des objets de prédation.
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Notes :
1. Rebecca C. Thurston, Yuefang Chang, Karen A. Matthews et al. «Association of Sexual Harassment and Sexual Assault With Midlife Women’s Mental and Physical Health», JAMA Intern Med. 2019;179(1):48-53. doi:10.1001/jamainternmed.2018.4886
2. Citée par C. Catalifaud, «Harcèlement et violences sexuelles: un impact significatif sur la santé physique et mentale des femmes», lequotidiendumedecin.fr, 03/10/2018.
3. L’odds ratio (OR), également appelé «risque relatif rapproché», est une mesure statistique souvent utilisée en épidémiologie qui exprime le degré de dépendance entre des variables. Il permet de mesurer l’effet d’un facteur.
4. Ada Garcia, Bernard Hacourt et Virginie Bara, «Harcèlement moral et sexuel. Stratégies d’adaptation et conséquences sur la santé des travailleurs et des Travailleuses», Pistes, 3, vol 7, 2005.
5. Willness CR, Steel P, Lee K. «A meta-analysis of the antecedents and consequences of workplace sexual harassment». Person Psychol. 2007;60:127-162.
6. Cf. Le Rapport d’activité 2018 du Groupe de confiance de l’Etat de Genève (organe auquel les employé-e-s de l’Etat en souffrance ont la possibilité de s’adresser), page 36, (accès: bit.ly/3bSJ5tB).