De dérives en dérapages : quand les administrations passent du déni à la maltraitance.

Stress Travail et Santé, Suicide Au Travail

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Comme nous l’indiquons à propos des suicides, les administrations de la fonction publique ont élaboré diverses stratégies visant à nier tout rapport entre les atteintes psychiques et le travail. C’est ce que nous avons appelé l‘organisation du déni.

Les stratégies du déni

  • Rechercher la faute personnelle
  • Contester le temps et le lieu de l’accident
  • Attribuer l’évènement à des « causes personnelles »
  • Aller chercher dans le psychisme de la victime des éléments de prédisposition ou de fragilité.
  • Ne pas appliquer rigoureusement les textes sur le fonctionnement des commissions de réforme
  • S’appuyer sur l’avis de médecins agréés ne possédant aucune compétence en santé au travail, notamment en matière de risques psychosociaux
  • Persister à ne pas appliquer la jurisprudence en continuant d’exiger l’exclusivité du lien avec le travail
  • Écarter le CHSCT par de pseudos groupes de travail,
  • Diligenter des « expertises » qui n’investiguent surtout pas le travail mais uniquement la « personnalité », le « profil psychologique », les « fragilités personnelles » etc…
  • contester les demandes d’expertises ou d’enquêtes administratives,
  • accuser le CHSCT et ses membres de vouloir faire de la « récupération », imposer une « omerta » justifiée par le « respect de la mémoire » de la victime,
  • refuser la transmission de l’enquête de l’inspection du travail lorsqu’une telle enquête a été faite
  • Multiplier tous les recours juridiques possibles pour décourager les ayants droits
  • Organiser le silence et l’invisibilité sur le nombre d’accidents du travail liés aux RPS.

Mais ces stratégies ne se développent pas seulement à propos des suicides, elles se déploient pour toute atteinte à la santé psychique survenue en lien avec le travail.
Ce déni se pratique dans toute la fonction publique (d’État, hospitalière et territoriale) et se voit mis en œuvre à tous les échelons de l’administration.

Or il se trouve que certaines administrations, non contentes de l’appliquer avec zèle, s’enfoncent encore plus dans le déni en y rajoutant des comportements que notre association qualifie de « dérapages ». Passant alors d’une stratégie de déni à une véritable maltraitance.

Le but n’est plus seulement de nier, d’occulter, d’instrumentaliser, voire de mentir ; il s’agit là d’organiser une seconde phase du déni des conséquences pour la santé engendrés par les facteurs organisationnels et relationnels, en s’attaquant à ceux qui auraient l’outrecuidance de demander réparation au titre des ATMP, et à ceux qui les soutiennent pour dénoncer l’organisation du déni, s’y opposer, ou résister.
Car pour que ce déni fonctionne, il faut qu’il soit déployé à tous les niveaux, et que chacun s’y soumette. Gare donc à ceux qui résistent et s’y opposent!
Nous assistons alors à la mise en œuvre d’une véritable maltraitance institutionnelle organisée de haut en bas des hiérarchies.
Elle vise tout fonctionnaire quel que soit son grade, les syndicalistes, les lanceurs d’alerte qui, d’une manière ou d’une autre, manifesteront une quelconque résistance.

Cette maltraitance prendra plusieurs formes selon les cas, elle se traduit notamment par :

  • Des pratiques managériales délibérées impliquant la désorganisation du lien social touchant le fonctionnaire, portant atteinte à la dignité qui a pour objet de dégrader ses conditions de travail afin qu’il « renonce » de quelque manière que ce soit, y compris en tombant malade.
  • Un harcèlement qui vise à exclure et placardiser la personne sous des prétextes futiles : âge, l’état de santé, le niveau de formation, qui ne correspondent plus aux nécessités de service, suppression de poste, de service, transfert d’activité, sous traitance, placardisation, etc…
  • Des techniques punitives mettant le fonctionnaire en situation de justification constante :
    • notes systématiques (jusqu’à plusieurs par jour),
    • utilisation de lettre recommandée avec accusé de réception,
    • menaces de procédure disciplinaire montée de toutes pièces,
    • heures supplémentaires non validées et non compensées,
    • vacances imposées ou non accordées au dernier moment,
    • « entretiens d’évaluation » conçus pour évaluer la motivation mais pas le travail (C’est un management par objectifs qui « autorise » la sanction ou la récompense et qui banalise, de ce fait, la souffrance psychique liée à ce déni du travail que de telles évaluations supposent).
  • La fixation d’objectifs irréalistes et irréalisables entretenant une situation d’échec, un épuisement professionnel et en émettant des critiques systématiques.
  • L’utilisation de la « notation » comme outil du management de la discorde et du conflit, dont l’objectif est de rompre les solidarités professionnelles ou d’exclure ou sanctionner les « récalcitrants ».

Ces mécanismes sont de véritables techniques altérant le rapport du sujet au réel du travail et dont le but ultime est la désaffiliation du collectif de travail, l’humiliation, le renoncement, l’exclusion.

Ils se conjuguent parfois avec des pratiques administratives telles que :

  • Le placement d’office en retraite, en disponibilité
  • Le refus systématique d’imputabilité au service des atteintes à la santé qui découlent de ces méthodes
  • L’envoie devant des « experts » qui vont « expertiser le psychisme » pour dire que c’est le fonctionnaire qui a des problèmes psychiques,  ou qui s’en créé lui même.
  • Le refus d’appliquer l’obligation légale des règles de protections des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions (en cas de menaces, injures, agressions)
  • La baisse des revenus (perte de primes, diminution de salaire , …)

Cela se traduit aussi par des opérations d’intimidation, de déstabilisation, de placardisation où le mensonge, la falsification, le dénigrement public, la menace, sont utilisés sans vergogne.

De fait, les administrations ont déjà depuis des années adoptées les critères de gestion et les modes de management mis en place au sein des grands groupes industriels et qui provoquent tous les dégâts en terme de santé psychique dont notre association est le témoin (à titre d’exemple le « Lean management dans les hôpitaux, les « évaluations » ..).

Chez les unes comme chez les autres, l’organisation du déni peut conduire à des dérives, voire des dérapages.

Car face à ce déni, chaque victime voulant faire reconnaître ses droits à réparation, chaque syndicaliste dénonçant ces atteintes à la santé et aidant les victimes dans leurs démarches, chaque lanceur d’alerte ; deviennent alors des menaces pour l’organisation (administration ou entreprises publiques ou grand groupe). Des menaces qu’il convient à tout prix de réduire à néant !

La première stratégie qui vise à nier que l’organisation est délétère pour la santé mentale, est d’empêcher ou dissuader les victimes ou les ayants droits d’engager une procédure AT MP, un déni qui ne concerne pas que les employeurs :

  • Ne pas déclarer les accidents du travail (obligation légale de l’employeur)
  • Ne pas informer les salariés « victimes », de leurs droits à réparation (obligation déontologique de tous les médecins)
  • Empêcher que les médecins établissent des certificats médicaux faisant le lien santé-travail  (grâce à une stratégie conjointe du MEDEF et du conseil de l’ordre des médecins).
  • Multiplier et complexifier les démarches administratives de déclaration ATMP (comité médical, commission de réforme, expertises, contre expertise etc…)

Ce schéma nous le constatons partout, dans toutes les entreprises et les administrations (qui se proclament, par ailleurs, toutes « exemplaires » dans la prévention des RPS !) Dès lors qu’un accident psychique ou un suicide se produit. C’est un peu comme si il existait un véritable vadémécum méthodologique à l’image de celui qu’un grand groupe industriel de la chimie a rédigé à l’intention de ses filiales, pour s’opposer ou entraver la reconnaissance des maladies professionnelles de l’amiante : on peut notamment y lire ce conseil mis en gras dans le texte: « il n’y a ici aucun état d’âme à avoir vis à vis du salarié » (voir le lien). Conseil qui a fait des émules dans toutes les entreprises et les administrations, et qui est désormais suivi à la lettre pour ce qui concerne aussi les RPS

Une fois dépassés tous ces obstacles, si les victimes ou ayants droits franchissent le pas et s’engagent dans les actions et procédures visant à la reconnaissance de leur souffrance professionnelle, alors elles deviennent des menaces concrètes qu’il faut empêcher d’agir, empêcher d’obtenir gain de cause, et surtout empêcher de socialiser et faire connaître leur combat.

Car les victimes représentent alors un « danger » pour l’organisation.

Et pour empêcher que leurs démarches dévoilent les responsabilités de ces organisations et leurs effets délétères sur le plan de la santé, une seconde phase du déni, moins visible car plus ou moins discrète, va se développer : elle a pour but de faire passer les victimes à l’état de coupables ou de responsables elles-mêmes de leur situation et de leur souffrance, voir de les désigner dangereux pour le milieu professionnel ou la « communauté ».

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