Gérald Kierzek: « L’hôpital est sur le point de craquer, et ce n’est pas à cause du Covid! »

28 novembre 2021 | Stress Travail et Santé

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Alors que la progression de la cinquième vague est importante, de nombreux services d’urgence manquent déjà de ressources humaines et matérielles. Selon le médecin urgentiste, il faut repenser la gestion des carrières des professionnels de santé et la direction de l’hôpital public.

Gérald Kierzek est médecin urgentiste et chroniqueur santé, directeur médical de Doctissimo, et auteur notamment de Coronavirus, comment se protéger? (Éditions de l’Archipel, mars 2020).

FIGAROVOX. – Le centre hospitalier d’Ambert dans le Puy-de-Dôme connaît actuellement de très fortes tensions et un manque de ressources humaines et médicales, selon le communiqué de Santé publique France. L’ARS de la région Auvergne-Rhône-Alpes a lancé une alerte pour le service des urgences et le SMUR du CH d’Ambert. Cette situation est-elle inattendue ?

Gérald KIERZEK. – Pas du tout. Cette situation de pénurie de personnels, médicaux ici ou paramédicaux, est habituelle et de pire en pire, années après années.

Il y a un double phénomène dans les hôpitaux publics qui s’auto-entretient dans un cercle vicieux mortifère. D’une part, le new management public et les restructurations ont abouti à des regroupements d’établissements depuis une bonne décennie, des fermetures de lits et une course à l’activité (tarification à l’activité) sous la houlette de managers n’étant pas issus du métier de soignant mais de l’école des hautes études en santé publique (EHESP). Le corps des directeurs s’est progressivement coupé du terrain et ceux qui décident aujourd’hui ne sont plus ceux qui font.

À tous les échelons de l’hôpital et des agences régionales de santé, il faut remédicaliser les décisions et donc revoir la gouvernance.Gérald Kierzek

D’autre part, la pénurie de personnels est liée au manque d’attractivité des carrières et à une démotivation globale quand le quotidien devient de plus en plus difficile poussant les soignants dans des injonctions paradoxales à la limite de leur déontologie et de la sécurité des soins. Une infirmière ou un médecin ne peuvent passer leur temps à remplir des tableaux Excel et à chronométrer leurs interventions pour optimiser les prises en charge comme leur demandent maintenant des consultants en lean management ou en organisation venus expliquer comment travailler !

Autre exemple frappant d’un chef de service de chirurgie à qui un des multiples sous-directeurs fraîchement moulu de l’EHESP après un parcours sûrement brillant à Sciences Po a demandé de choisir entre les petites, les moyennes et les grandes pinces pour ouvrir un thorax ! Des économies s’imposaient et une seule taille allait être choisie au marché public, sans tenir compte de la nécessité technique et anatomique d’avoir trois tailles !

Tout cela génère frustration, colère et démotivation, sans compter que cela est aberrant sur un plan économique, médical et éthique. Les seules économies réelles et acceptables sont sur le moyen et le long terme et non sur des économies de bout de chandelles pour équilibrer un budget annuel. À tous les échelons de l’hôpital et des agences régionales de santé, il faut remédicaliser les décisions et donc revoir la gouvernance. On s’est trompé d’objectif en disant «il faut faire des économies» et en mettant des gestionnaires à la tête ; il faut d’abord soigner, et si possible, en dépensant mieux et donc remettre de vrais soignants aux arbitrages.

La crise du Covid est-elle responsable de cette conjoncture ?

La crise COVID est une crise plus structurelle d’un système de santé à genoux que la résultante d’un virus extrêmement tueur. Autant début 2020, nous redoutions une mortalité-létalité extrême, autant bientôt deux ans après nous constatons une incapacité de notre système à absorber la moindre surchauffe sanitaire. Chaque année depuis une décennie, les réanimations sont à saturation, les services d’urgence en incapacité à hospitaliser les patients les plus fragiles et à fidéliser ou recruter du personnel épuisé avec de réelles pertes de chances pour les malades. Il suffit de reprendre les articles et reportages annuels, véritables marronniers journalistiques sans prise de conscience des conséquences.

Ce qui était avant invisible médiatiquement et donc politiquement et sociétalement acceptable devient subitement avec le COVID visible et inacceptable.
Gérald Kierzek

La grève des urgences en mars 2019, soit un an avant la crise COVID, portait déjà des revendications comme l’arrêt des fermetures de lits et de services et le recrutement d’emplois supplémentaires. Les conséquences sont majeures avec des morts à la clé que l’on sous-estime largement chaque année. Combien de patients décèdent de la grippe ou d’une infection respiratoire chaque année faute de prise en charge rapide avec hospitalisation ou réanimation par exemple ? Ce qui était avant invisible médiatiquement et donc politiquement et sociétalement acceptable devient subitement avec le COVID visible et inacceptable. Mais ne nous trompons pas : c’est notre système qui est en cause et l’évolution démographique avec en particulier le vieillissement de la population doit nous pousser à ouvrir les yeux et faire marche arrière sur bon nombre de restructurations. Le virage ambulatoire avec son cortège de fermetures de lits devient criminel, de même que les fermetures de services d’urgences ou à l’autre bout de la vie, celles de maternité.

Lire la suite,  » Cette situation peut-elle se généraliser à d’autres centres hospitaliers ?  » sur le site www.lefigaro.fr

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