La société moderne tout entière est habitée par une anxiété spécifique, d’autant plus tyrannique que nous ne l’avons pas vu venir: la peur du chômage. La machine économique est devenue une machine à concasser les humains.
A ceux qu’exaspère le discours médiatique sur la performance, je recommande la relecture estivale d’un homme qui fut, jadis, avec quelques autres, l’honneur du « Nouvel Observateur ». Publiés sous le pseudonyme de Michel Bosquet, les articles d’André Gorz (disparu en septembre 2007) appelaient sans relâche – et pacifiquement – à la résistance contre les discours bêtes. Notamment ces invitations à la « gagne », à la performance, à la compétition. Plus que jamais, en ces temps de recentrage « social-libéral », ce penseur clairvoyant nous manque. Dans l’un de ses meilleurs livres (« l’Immatériel », Galilée, 2003), il faisait avec flamme l’éloge de l’inutile : « Ce sont , écrivait-il, les capacités qui excèdent toute fonctionnalité productive, c’est la culture qui ne sert à rien qui, seule, rend une société capable de se poser des questions sur les changements qui s’opèrent en elle et de leur imprimer un sens. » Sur ce point précis, le malaise d’aujourd’hui déborde largement du cadre politique. Il se fonde, non point sur une idéologie quelconque, mais sur une intuition de bon sens. Et sur un refus des régressions déguisées en progrès. Un exemple : la SNCF annonce qu’elle va développer, dans les trains et dans les gares, des « espaces bureau »pour les cols blancs. Dans les TGV, et dès l’aube, on est déjà environné de cadres, d’hommes d’affaires ou d’employés penchés sur leurs micro-ordinateurs et guettant la vibration du téléphone portable posé devant eux.
Dès l’aube, on les entend parler chiffres, marchés, productivité optimale, stocks, retour sur investissement et tutti quanti. Ils sont immergés dans des logiques d’efficacité ou de marketing. Ont-ils le choix ? Sans doute pas. Derrière ce zèle matinal, on devine une obscure inquiétude. Elle paraît révélatrice du climat de l’époque : la peur, le souci de rendement personnel, la crainte de ne pas être performant. Et encore ! On utilise maintenant un anglicisme venu du cinéma et détourné de son sens initial : un salarié doit être « bankable ». Horreur !
La société moderne tout entière est habitée par une anxiété spécifique, d’autant plus tyrannique que nous ne l’avons pas vu venir. Les sondages montrent qu’une majorité de nos compatriotes vivent désormais dans la crainte obsidionale de perdre leur emploi. La persistance d’un chômage massif a généré, au fil des ans, des conséquences en chaîne, un peu comme un cancer qui diffuserait ses métastases. A côté des cinq ou six millions de personnes affectées directement, des millions d’autres en souffrent indirectement. Et la peur se répand !
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