En sus d’évoquer des constats alarmants sur la santé mentale des travailleurs dans l’Union Européenne (jeunes surtout), et un chiffrage en « économie de la santé », le contenu de cette résolution est fort intéressant, parce qu’il demande à la Commission européenne de s’emparer réellement du sujet des risques psychosociaux en demandant aux États membres par directive (c’est-à-dire de façon contraignante) de mettre en œuvre des dispositifs de prévention de ces risques.
Le Parlement « considère que la prochaine crise sanitaire sera liée à la santé mentale et estime que la Commission devrait prendre des mesures pour répondre à tous les risques potentiels par des mesures contraignantes et non contraignantes, en tant que de besoin, et élaborer une stratégie globale de l’Union pour la santé mentale, conformément aux conclusions du Conseil du 24 octobre 2019 sur l’économie du bien-être« .
C’est on ne peut plus explicite. D’autant plus quand on le met en relation, comme l’écrit le Parlement, avec l’absence de politique de santé publique adéquate pour le prévention et la prise en charge des troubles psychosociaux : « souligne qu’en raison du manque de soutien et de mesures de prévention suffisantes en matière de santé mentale sur le lieu de travail, les salariés doivent souvent recourir à de coûteux services privés ou aux services proposés par des organisations non gouvernementales (ONG) ou les structures hospitalières nationales, qui peuvent avoir de longues listes d’attente et manquent souvent elles-mêmes de soutien et de ressources; demande que les lieux de travail veillent à ce que les employés disposent d’un soutien et de voies de recours accessibles, professionnels et impartiaux en matière de santé mentale, dans le respect de la vie privée et de la confidentialité des travailleurs, et invite les États membres à veiller à ce que les soins de santé publics comprennent un accès aisé à des services de conseil à distance« .
Même si son titre l’inscrit dans le lien avec les technologies numériques, qui sont portées par le télétravail (et pour lequel elle « invite la Commission à proposer un cadre législatif pour établir des exigences minimales en matière de télétravail dans l’ensemble de l’Union, sans porter atteinte aux conditions de travail des télétravailleurs« ), le Parlement élargit son propos sur la prévention et la protection de la santé mentale bien au-delà de cette seule modalité d’organisation du travail, et propose même des incises en matières d’égalité entre les femmes et les hommes (« invite les États membres à encourager un partage égal des responsabilités familiales entre les femmes et les hommes grâce à des périodes de congé rémunéré non transférables entre les parents, ce qui permettrait aux femmes de décrocher davantage d’emplois à temps plein« ).
Cette résolution s’inscrit également dans le travail de réactualisation en cours de la directive de 1989, qui a fondé tout le droit de la santé sécurité au travail dans l’Union. Et en complément du travail des acteurs sociaux dans l’UE sur la construction d’une directive spécifiques sur les RPS (consulter à cet égard l’excellent site Home page new – EndStress.eu ), dont le Parlement partage une partie des constats, notamment sur l’inégale protection des travailleurs dans les différents pays d’Europe, malgré le contenu de la directive de 1989, puisqu’il « souligne que si le nouveau cadre stratégique 2021-2027 de l’Union pour la santé et la sécurité au travail note, à juste titre, que des changements dans l’environnement de travail sont nécessaires afin de lutter contre les risques liés au bien-être psychosocial, il se concentre uniquement sur les interventions au niveau individuel, qui ne représentent qu’une partie limitée de l’atténuation des risques psychosociaux« , ce qui est évidemment et réglementairement imparfait, en ce qu’il « estime que les mesures actuelles visant à améliorer la santé mentale et la sécurité des travailleurs sont insuffisantes ou ne sont pas efficaces, notamment en ce qui concerne l’évaluation et la gestion des risques psychosociaux« .
Quelques autres extraits intéressants :
« La santé mentale est également liée à d’autres droits fondamentaux tels que le droit à la dignité humaine, inscrit à l’article 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et le droit à l’intégrité de la personne, y compris l’intégrité mentale, inscrit à l’article 3 de la Charte. »
« La compréhension des problèmes de santé mentale sur le lieu de travail implique non seulement de tenir compte des troubles mentaux conformément aux critères de diagnostic de la classification internationale des maladies pour les statistiques de mortalité et de morbidité (par exemple la dépression), mais aussi de s’efforcer de promouvoir le bien-être, d’éviter les malentendus et la stigmatisation, ainsi que de concevoir et de mettre en œuvre les mesures et les traitements appropriés pour prendre en charge ces troubles. »
« Le droit à la déconnexion est essentiel pour garantir le bien-être mental des salariés et des indépendants, en particulier pour les travailleuses et les travailleurs exerçant des formes de travail atypiques, et devrait être complété par une approche préventive et collective des risques psychosociaux liés au travail. »
Sur la nécessité de reconnaître le caractère professionnel des troubles psychosociaux, le Parlement :
« invite la Commission, en consultation avec les partenaires sociaux, à réviser sa recommandation du 19 septembre 2003 concernant la liste européenne des maladies professionnelles en y ajoutant les troubles musculo-squelettiques d’origine professionnelle, les troubles mentaux liés au travail, en particulier la dépression, l’épuisement professionnel, l’anxiété et le stress, toutes les maladies liées à l’amiante, les cancers de la peau et l’inflammation rhumatismale et chronique« …
… Et de poursuivre ses préconisations en :
« [appelant] de ses vœux la mise en œuvre urgente de politiques intersectorielles et intégrées en matière de santé mentale, dans le cadre d’une stratégie globale de l’Union pour la santé mentale et d’une stratégie européenne en matière de soins, complétée par des plans d’action nationaux »
« [invitant] les institutions et les États membres de l’Union à prendre acte de l’ampleur des problèmes de santé mentale liés au travail dans l’Union et à s’engager résolument en faveur de mesures visant à réglementer et à mettre en place un environnement de travail numérique qui contribue à prévenir les problèmes de santé mentale, à protéger la santé mentale et un équilibre sain entre vie professionnelle et vie privée et à renforcer les droits en matière de protection sociale sur le lieu de travail ».