Les mouvements de grève se multiplient dans les hôpitaux psychiatriques publics, sur fond de manque de moyens pour accueillir correctement les patients, de services qui ferment et de soignants à bout. En parallèle, les cliniques psychiatriques privées, de plus en plus concentrées au sein de quelques grands groupes, prennent davantage de poids dans le secteur.
Prenant d’abord en charge les patients les plus aisés – c’est-à-dire les plus solvables –, tout en abandonnant au public les pathologies les plus lourdes et les hospitalisations sous contrainte, ces entreprises considèrent avant tout le soin psychique comme un marché à conquérir. Troisième volet de notre enquête consacrée à la crise de la psychiatrie en France.
Toujours moins de lits, des services fermés, pas assez de médecins, des soignants en sous effectif… Le secteur des hôpitaux psychiatriques va mal. Celui des cliniques psy privées se porte mieux. Du moins, du point de vue des grands groupes de santé privée qui se sont constitués depuis une décennie. En 1980, le nombre de lits, pour une prise en charge à temps plein, s’élevait à 120 000 dans la psychiatrie publique [1] pour 18 000 dans les cliniques privées. Trente-six ans plus tard, le nombre de lits dans le public a chuté à 41 000, ceux du privé ont baissé à 13 300 en 2016 [2].
Plus de la moitie? des lits de psychiatrie ont donc e?te? ferme?s en 40 ans, très majoritairement dans le public, tandis que le nombre de lits dans le privé diminuait moins drastiquement. « La part du prive? dans l’e?quipement en lits de psychiatrie a nettement augmente? en 40 ans. Elle repre?sentait 11% du total des lits en 1975, (…) un peu plus de 24 % en 2016 », notait l’année dernière un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Le poids relatif du privé a donc plus que doublé. Si on regarde le nombre des établissements, près d’un tiers (30 %) des structures de prises en charge françaises sont aujourd’hui des cliniques privées à but lucratif.
Le secteur privé peut être brandi comme une menace face aux soignants du public : « Nous, à Caen, nous subissons l’austérité, et on nous dit « attention, si vous vous plaignez trop, les lits seront donnés au privé », témoigne Olivier Mans, infirmier psy, cadre à l’établissement public de santé mentale de Caen et secrétaire de la fédération syndicale Sud-santé-sociaux. Dans l’hôpital public, les technocrates essaient de définir des normes pour pouvoir quantifier les soins. Au final, cela sert surtout aux groupes privés », constate l’infirmier. Des entreprises – et leurs investisseurs – voient dans le soin psychiatrique un marché potentiellement lucratif.
Deux grands groupes à capitaux australiens et canadiens
Ainsi, le groupe Ramsey générale de santé, qui gère 30 cliniques psychiatriques en France, se targue de détenir 17% des parts de marché de l’hospitalisation privée générale dans le pays et l’un « des principaux acteurs de la psychiatrie privé » [3]. Ce groupe est le fruit de fusions et d’acquisitions capitalistiques successives qui n’ont pas grand chose à voir avec des objectifs de santé publique. Ramsey générale de santé est né du rachat en 2014 de l’entreprise française Générale de santé par un groupe… australien, en l’occurrence Ramsey Health Care. Générale de santé, une société de cliniques psychiatriques créée en 1987, avait elle-même auparavant racheté des sociétés anglaises, avant d’être acquise par un fond d’investissements britannique. En 2016, Ramsey Générale de santé affiche un chiffre d’affaire de 2,2 milliards d’euros. Ses actionnaires sont Ramsey Health Care (plus de 50 % du capital), mais aussi une filiale assurance du Crédit Agricole (plus de 38 % du capital).
L’autre gros acteur des cliniques psychiatriques privées en France, c’est le groupe Clinea, lui-même propriété du groupe Orpea, l’un des leaders des maisons de retraites privées. Le groupe Orpea, créé en 1989, introduit en bourse en 2002, gère aujourd’hui plus de 350 maisons de retraites et cliniques en France [4]. Sa filiale Clinea, lancée en 1999, possède 38 cliniques psy en France. Orpea appartient aujourd’hui principalement à un fonds de pension canadien, CPPIB, premier actionnaire depuis 2013. La famille propriétaire de Peugeot (à travers FFP Invest) en est aussi actionnaire à hauteur de près de 6 % du capital. Le PDG et le directeur général délégué du groupe Orpea ont tous deux touché plus d’un million d’euros de rémunération en 2017.
…
Lire la suite sur le site www.bastamag.net
——————————————————-