De la cravate au tailleur : la féminisation sans l’égalité au sein de la Banque postale

07 janvier 2019 | Femmes Au Travail, Inégalités et Discriminations

L’étude des frontières entre hommes et femmes dans l’activité de travail a permis de mettre en lumière l’existence d’un « plafond de verre » (Laufer, 2004 ; Marry, 2005 ; Buscatto et Marry, 2009) dans de nombreux contextes professionnels : monde académique (Backouche et al., 2009 ; Jonas et Marry, 2009), artistique (Buscatto, 2003 ; Naudier, 2010), hospitalier (Lapeyre, 2006), de la Justice (Malochet, 2005 ; Boigeol, 1996), ou de la Police (Pruvost, 2007).


Nadège Vezinat, « De la cravate au tailleur : la féminisation sans l’égalité au sein de la Banque postale », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 55 – n° 1 | Janvier-Mars 2013, mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 02 janvier 2019. URL : http://journals.openedition.org/sdt/13040


La plupart de ces études ont porté sur des professions prestigieuses, à l’origine exclusivement masculines, qui ouvrent progressivement leurs rangs aux femmes. Si la profession de conseiller financier à La Poste ne peut être classée dans cette catégorie, il y apparaît pourtant que, parallèlement à sa féminisation — et même féminisation massive puisque la proportion d’hommes et de femmes s’est inversée en peu de temps — des mécanismes en réservent aux hommes les meilleurs segments et laissent envisager la création d’un phénomène comparable aux murs et plafond de verre (c’est-à-dire à une ségrégation horizontale et verticale).
Certains parlent de « plafond à caisson » (Backouche et al., 2009) pour montrer comment les barrières se recomposent et empêchent, malgré une féminisation des emplois, qu’une « mixité sociale » (Fortino, 1999) se mette en place. Une question moins souvent investie est celle de la mise en œuvre et des conditions de constitution de ces barrières. Dans une activité aujourd’hui fortement féminisée, quels mécanismes sont à l’origine du maintien des inégalités ? Certains travaux (Lapeyre et Robelet, 2007 ; Naudier, 2010 ; Bereni et al., 2011 ; Guillaume et Pochic, 2012) montrent que la notion de « plafond » est insuffisante pour traiter cette question et proposent d’y ajouter celle de « mur » de verre. Ces deux notions constituent des clés de lecture pour comprendre comment les plafonnements de carrière chez les conseillers financiers concernent surtout les promues internes qui doivent même parfois « reculer » dans leur carrière.
Certaines factrices préfèrent en effet renoncer à leur promotion comme conseiller financier (1) parce que les nouvelles règles de leur activité professionnelle (en termes d’horaires notamment) produisent des inégalités de carrière et entraînent des tensions entre leur vie au travail et leur vie privée. Les discriminations peuvent être, au-delà des problèmes individuels de conciliation de leur travail avec leur vie privée, le résultat de l’organisation « implicite » du travail.
Si la féminisation des conseillers financiers rencontre des obstacles, ce n’est donc pas seulement du fait des candidates, mais aussi de l’entreprise.
Dans cet article, nous verrons que la professionnalisation des conseillers financiers a modifié les caractéristiques des personnes chargées de cette activité dont les fondements sexués seront mis en évidence. Les deux figures — de la jeune commerciale et du vieux postier bon père de famille — coexistent parmi les conseillers financiers : le groupe professionnel s’est formé par l’agrégation des différents sous-groupes qui en ont successivement eu la charge. Ce recouvrement des deux figures suit en filigrane les changements de statut juridique et d’orientation de l’organisation. Il est issu des adaptations structurelles nécessaires pour faire face à la transformation de l’activité courrier, à la concurrence qui s’exerce sur l’activité colis, pour ajuster le réseau des bureaux de poste aux lieux de vie de la population et pour proposer une offre en adéquation avec les besoins en services financiers des Français. Cependant la féminisation des conseillers financiers et la domination numérique des femmes dans ce métier ne se sont pas encore accompagnées d’une égalité entre les sexes. L’ouverture du métier n’était-elle alors qu’apparente ? Comment la dynamique de construction des inégalités sexuées s’est-elle recomposée au sein de l’entreprise postale ? Quelles conséquences ce phénomène a-t-il sur les parcours professionnels ?

Lire la suite sur le site de l’article sur le site journals.openedition.org
 


Notes

1 Lors de mon enquête, le terme de « conseiller financier » n’a pas été employé au féminin. Je reprends donc l’expression « indigène » en conservant la terminologie au masculin.

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