Marche de la colère: Pourquoi le nombre de suicides dans la police a explosé

08 octobre 2019 | Magazine, Stress Travail et Santé

Les syndicats policiers ont appelé à un grand rassemblement le 2 octobre 2019. Avec, en tête de leurs préoccupations, la lutte contre le suicide au sein de la profession.

“Pour accepter tout ce qu’on subit et faire quand même notre boulot, on est forcément amoureux de notre métier…” Ce mercredi 2 octobre, ils pourraient être 20.000 policiers à marcher dans les rues de Paris pour protester contre leurs conditions de travail et contre le silence de leur hiérarchie, jusqu’au ministre de l’Intérieur Christophe Castaner. Et, surtout, contre une vague de suicides sans précédent.
Depuis le 1er janvier, le “compteur de la honte” affiche 52 morts, issus de tous les corps de la police nationale. En temps normal, il n’atteint généralement pas 40 en un an. Le fruit, à en croire les policiers qui ont bien voulu témoigner auprès du HuffPost, d’une nouvelle donne sociale à laquelle la police n’a plus les moyens de répondre, d’une évolution des composantes de l’administration, d’un rôle de bouc-émissaire de la société que les intéressés ne s’expliquent pas vraiment.
“C’est impressionnant à quel point on se fiche de nous”, explique au HuffPost un fonctionnaire qui affiche 25 ans d’ancienneté. “On a l’impression d’être des sous-citoyens. Si on fait un truc de travers, on a des associations sur le dos. Mais quand Jean-Luc Mélenchon nous traite de barbares, ça ne choque personne. Rien n’est fait pour nous défendre.”

Trois ans et demi de douleurs et de sollicitations

Or, ces femmes et ces hommes ont souffert, comme ils le clameront ce mercredi. Un couple de fonctionnaires tués par un terroriste à l’été 2016 à Magnanville, des collègues visés par des cocktails Molotov à Viry-Châtillon quelques mois plus tard, les manifestations contre la loi Travail en 2017 qui ont vu les opposants devenir de plus en plus violents, l’affaire Théo et les accusations de violences portées contre le corps dans son ensemble, la crise des gilets jaunes et la mobilisation de tous les instants demandée aux policiers depuis un an, le qualificatif de “barbares” utilisé par le leader des Insoumis… Chaque flic date à sa manière le point de départ de cette colère qui aura bientôt cessé d’être sourde.
Mais les problèmes sont encore plus anciens. “Quand je suis entré dans la boîte, on avait encore les grands flics à notre tête. Des mecs qui ont commencé en bas, jeunes lieutenants sur le terrain, et qui ont grimpé jusqu’à devenir patrons”, regrette Fred, vingt ans de maison et aujourd’hui membre de la Mobilisation des policiers en colère (MPC). “Maintenant, on a des commissaires qui sortent d’école, et qui sont des managers. Qui gèrent des ressources humaines. Ce qu’ils veulent faire, ce n’est pas faire tomber des réseaux, choper des dealers, arrêter des braqueurs, c’est avoir des bons chiffres.”
Le “chiffre”, un mot qui revient sans arrêt dès lors que l’on s’intéresse aux racines de la détresse qui ronge de l’intérieur la police nationale. Si elle a officiellement été abandonnée, la politique mise en place sous Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur est dans les faits omniprésente, nous racontent unanimement les policiers interrogés.

“Un kilo de shit? Vous auriez dû faire mille mecs avec un gramme!”

“Un jour, on avait fait un kilo de shit, on était tout contents parce qu’on ne fait pas ça tous les jours”, relate un baqueux expérimenté. “Et en revenant, le chef nous a demandé pourquoi on avait fait ça, pourquoi on n’avait pas fait mille mecs avec un gramme à la place. Il aurait dû nous féliciter. Ça a tellement changé…” Et un autre interviewé de corroborer spontanément: “On nous demande des chiffres parfois débiles. Choper un fumeur de joint dans la rue, c’est une affaire résolue, donc les statistiques sont bonnes. C’est facile, et positif. Alors qu’intervenir sur un cambriolage sans choper les gars, c’est une affaire non-résolue.”
Or, ces statistiques, ces chiffres, c’est le nerf de la guerre. Au grand dam des policiers. “Nos chefs veulent de bons chiffres sur tout: le taux de résolution bien sûr, mais aussi le nombre de présents en formation au tir ou au maintien de l’ordre, le nombre de plaintes enregistrées, l’absentéisme… Et puisqu’ils sont intéressés là-dessus pour les primes de fin d’année, ça pollue nécessairement le système”, continue Fred, le policier de la MPC.
Au-delà de leurs responsables, les policiers aussi sont concernés par des résultats : notés “comme à l’école”, pour reprendre les mots de l’un d’entre eux, ils risquent d’être mobilisés pour Noël et le jour de l’An s’ils se lancent sur un cas qu’ils ne vont pas résoudre rapidement, facilement. “Tout est fait pour nous monter les uns contre les autres. Diviser pour mieux régner, c’est plus vrai chez nous que nulle part ailleurs”, regrette encore notre membre de la BAC (Brigade anticriminalité), qui fustige un système construit pour générer de la concurrence entre les effectifs. Et qui, par son fonctionnement, empêche les failles de se montrer au grand jour.

“Sans solution, ça peut être le suicide”

“C’est un univers où il est difficile de parler de ses faiblesses”, explique un autre policier, passé par de nombreux services en Île-de-France. “Si vous montrez des signes de faiblesse, on ne part plus en mission avec vous. Alors c’est difficile de parler, au travail comme à la maison. Et sans solution, ça peut être le suicide”, confirme un associatif qui vient en aide aux policiers victimes de souffrance au travail.
Car à force de se voir imposer des tâches insensées, d’être empêchés de mener à bien leur “vraie mission”, certains perdent pied. “Une fragilité psychologique s’installe, un rien devient un cataclysme, on n’a envie de rien faire, on s’enfonce dans un mal-être”, relate un autre fonctionnaire, qui a été contraint de se faire soigner dans une clinique spécialisée dans les burn-out. “On n’a plus envie de faire de sport, plus envie d’aller au cinéma, plus envie de voir des amis. Même lire un livre devient compliqué.”
Et à cela s’ajoutent les difficultés inhérentes au métier, comme de devoir annoncer à des parents la mort d’un enfant quand on est soi-même père d’un jeune adulte, comme de débuter une journée face à un homme de son âge qui s’est pendu de détresse, comme de voir une famille décimée par un accident de la route. “Dans notre corporation, il n’y a pas de suivi psychologique”, s’insurge un policier d’une trentaine d’années auprès du HuffPost, avançant le chiffre d’un psychologue pour plus de 1822 policiers, récemment mis en lumière dans un rapport sénatorial.

Lire la suite sur le site www.huffingtonpost.fr

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