Comment la propagation de la violence en milieu gestionnaire s’exprime t-elle ? Du harcèlement moral des hommes au harcèlement sexuel des Femmes (1ère partie), par Marie PEZE

29 mars 2019 | Burn Out, Stress Travail et Santé


Article rédigé par Marie PEZE,  Docteur en Psychologie, psychanalyste, expert judiciaire près la Cour d’Appel de Versailles.  Fondatrice du réseau Souffrance & Travail et auteure de plusieurs ouvrages, dont le dernier publié en 2017,  « Le burn-out pour les nuls » aux Editions First.


Monsieur W., cuisinier dans une Institution médicale, se présente en urgence à ma consultation le 4 avril 2… Il est prostré, la tête pend lourdement sur le thorax, il est hébété, sans voix, non loin de l’état de stupeur psychiatrique.

Je ne vois pas comment conduire un entretien clinique avec un patient dans un tel état. Mais je sais d’où il vient car le chef d’établissement et la DRH m’avaient fait venir pour une formation à la prévention du harcèlement moral et depuis avaient  embauché une psychologue du travail. Mais, dans cette grande bâtisse à l’architecture asilaire, si loin de toute agglomération et de toute vie, en autarcie complète, qu’a-t’il pu se passer ?

Présentation du contexte professionnel : 

J’ai le souvenir d’un parc immense, de jardins entretenus au cordeau, de bâtiments en carré fourmillant de couloirs intérieurs et de galeries intermédiaires. Dans ce contexte d’autarcie, tous les corps de métier y étaient déployés depuis son ouverture : boulangers, lingères, jardiniers pur le potager et l’entretien du parc, bouchers, cuisiniers..
J’avais été frappée lors de ma visite par le fort investissement du travail de chacun de ces corps de métier venus écouter.
Corps de métier n’est pas une figure de style. Le passage par la formation professionnelle puis le travail façonnent les corps. Durablement. Dans les métiers dits manuels comme dans les métiers dit intellectuels.
Si je travaille comme menuisier, comme charpentier, comme bûcheron, je travaille le bois. A force de travailler le bois, non seulement je découvre les qualités de la matière BOIS, mais sa résistance, ses aspérités, ses nœuds, ses fragilités. Je développe une intimité du rapport à sa matière. J’éprouve la résistance du bois à l’usage de l’outil dont je me sers pour le travailler, j’éprouve la résistance de mon corps à l’usage de cet outil. La dimension corporelle de l’intelligence que nous mobilisons dans le travail est différente de l’activité logique. Evaluer la qualité d’un matériau du plat de la main, identifier à l’oreille un moteur défaillant, visualiser, dès l’incision, la déchirure d’un tendon, « sentir » l’angoisse du patient, sont autant de situations de travail mobilisant des données perceptives, mais aussi, derrière l’information sensitive présente, toute l’histoire de notre corps, personnelle et professionnelle.
C’est par la résistance du réel que mon propre corps et les pouvoirs de mon corps se révèlent à moi. Travailler, ce n’est pas seulement produire, c’est se transformer soi même. Perception, interprétation, diagnostic, action engagent bien plus que notre intellect. Pour la femme de ménage qui vide les poubelles comme pour le chirurgien peaufinant une suture, pour la caissière qui sourit à ses clients, pour la psychanalyste qui interprète les corps, travailler implique de sortir de la prescription.

Travailler implique d’aller chercher en soi des ressources indicibles qui rendent le travail réel invisible. Travailler passe par l’énigme de la mobilisation du corps, creuset entre le pulsionnel, le physiologique et le symbolique. La chair du travail, tout simplement.

Du geste à l’identité au travail 

Les gestes de métier ne peuvent donc se réduire à des enchaînements de mouvements efficaces. Ils sont de véritables  actes d’expression de notre identité psychique et sociale. (note de bas de page Dejours, Dessors, Molinier, 1994).
L’identité transgénérationnelle d’abord, car les gestes sont transmis dans l’enfance, par la copie des adultes aimés et admirés. L’enfant intériorise les « tours de mains » des adultes par loyauté identificatoire.
l’identité sociale puisque les gestes sont socio-culturellement construits. En Occident, le port des enfants, des charges lourdes, se fait ainsi sur les membres supérieurs fléchis, en Afrique, les sur la tête et le dos.
Plus spécifiquement, au travers des apprentissages, les gestes de métier viennent nouer des liens étroits entre l’activité du corps et l’appartenance à une communauté professionnelle.
les gestes ont aussi un sexe. L’identité sexuelle, l’identité de genre se doivent d’être traduites par des attitudes, des postures spécifiques. L’éducation inscrit dans la musculature des postures sexuées spécifiques.
Le modelage d’un corps se fera ainsi au fil des ans, traduisant les choix existentiels, la mémoire tissulaire des événements forts, les empreintes du travail. Souvenons-nous, agir sur le geste, c’est donc agir sur l’identité.

Le cas préoccupant de Monsieur W., victime des dérives managériales 

Je téléphone au médecin du travail de l’institution dès l’arrivée en urgence de Monsieur W.
Il m’apprend que dans le cadre des mesures d’accréditation, la restructuration de la cuisine est devenue nécessaire et que l’organisation du travail a donc été profondément remaniée. Les savoir-faire traditionnels de l’institution et les corps de métier ont peu à peu été remplacés au profit d’une organisation rationalisée type chaîne froide. Les différents secteurs, me dit-il, boucherie, boulangerie, lingerie, cuisine ont été recentrés et selon l’expression consacrée, les ressources humaines ont été redéployées.
Le médecin du travail propose d’alerter la DRH sur la gravité de l’état de Monsieur W. Je redonne un RV au patient le 17 avril suivant, pour établir un diagnostic clinique et mettre au clair la dégradation de sa situation professionnelle.
Le médecin du travail m’informe dès le lendemain qu’il a reçu Monsieur W, qu’il a prononcé une inaptitude temporaire et que le patient est en arrêt-maladie.
Avant la consultation prévue le 17 avril, je reçois des documents.
A leur lecture, je suis saisie par le discours technocratique et presque méprisant du rapport fait par  le responsable du Pole travaux dont dépend la nouvelle cuisine…

Lire la suite et l’extrait du rapport sur le site https://managersante.com

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