Souffrance au travail des Magistrats : état des lieux, état d'alerte

Stress Travail et Santé

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Malaise dans la Justice, souffrance au travail, insuffisance chronique de magistrats pour répondre à l’ensemble des missions judiciaires, c’est le constat que l’USM fait depuis de nombreuses années.

Dès 2010, l’USM, lors de son congrès à Rennes, a alerté le ministre de la justice sur la situation de collègues épuisés, dont certains avaient mis fin à leurs jours, alors que leurs conditions de travail étaient très dégradées.
Un groupe de travail sur la souffrance au travail a alors été mis en place début 2011 à la demande de l’USM. Il s’est réuni de nombreux mois et a permis d’entamer une réflexion sur cette problématique particulièrement prégnante au sein du Ministère de la Justice, et qui perdure.
Dans le rapport d’activité 2013 de la médecine de prévention, présenté au Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail Ministériel (CHSCT M), le médecin coordonnateur national a relevé que les médecins de prévention ont fait état d’une augmentation des situations de souffrance et de mal-être au travail.
À la suite des entretiens effectués au cours des visites médicales, ils ont en effet signalé :

  • une intensification du travail dans toutes les directions (Services judiciaires, Administration pénitentiaire et Protection judiciaire de la jeunesse)avec une absence de remplacement des personnels en arrêt de maladie, responsable d’un épuisement qui contribue à majorer l’absentéisme,
  • une impression de ne pouvoir faire un travail de qualité avec perte du sens de la mission,
  • un nombre de plus en plus important d’agents déclarant souffrir d’un manque de considération et de reconnaissance des efforts accomplis,
  • l’absence de temps et d’espace pour débattre du travail, le manque de communication.

Les magistrats sont tenaillés entre la volonté de répondre aux demandes légitimes des justiciables et le manque cruel de moyens non seulement matériels mais humains. Cette insuffisance de personnels de justice touche tous les secteurs, magistrats, personnels de greffe, éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse, conseillers d’insertion et de probation….
Il y a actuellement presque 500 postes de magistrats non pourvus par rapport à ceux qui sont localisés, outre les temps partiels et les congés pour maladie. Les effectifs de magistrats connaissent une baisse sans précédent en raison des départs massifs à la retraite des collègues de la génération du « baby boom » qui n’ont pas été anticipés au niveau des recrutements. Au contraire, le nombre de postes offerts aux concours a atteint les niveaux les plus bas de 2008 à 2010.
Pourtant, parallèlement, de nombreuses réformes ont accru la charge de travail des magistrats de l’ordre judiciaire (loi pénitentiaire, réforme des tutelles, hospitalisation sous contrainte, réforme pénale de juillet 2014, etc..), sans que cet alourdissement des missions soit compensé par des créations de postes suffisantes.
La réflexion entamée sur la charge de travail des magistrats ne permet pas d’espérer une évolution positive.
En effet, à la suite de l’affaire dite « de Pornic », avaient été mis en place un groupe de travail chargé d’évaluer la charge de travail des magistrats, ainsi que plusieurs autres groupes de travail plus spécifiques à certaines fonctions (application des peines, justice des mineurs, parquet, instance). Mais, alors que les groupes thématiques ont rendu leurs conclusions en mai 2012, et en dépit des arbitrages déjà opérés et de l’avancement des travaux du groupe sur la charge de travail, la chancellerie a choisi de ne publier aucun rapport et de ne plus en réunir les membres.
Alors qu’elle devrait être en possession de l’évaluation chiffrée des besoins, fonctions par fonctions, la chancellerie n’a communiqué aucune information sur les effectifs nécessaires pour absorber l’ensemble des contentieux et missions dévolus à l’autorité judiciaire, ni recruté à un niveau raisonnable pour répondre à la pénurie criante de magistrats, comme le demande avec insistance l’USM.
Du fait de ce refus d’anticipation, résultant d’un choix politique aux effets catastrophiques, les magistrats sont dans l’incapacité, malgré des sacrifices très importants consentis sur le plan personnel, de répondre, dans un délai raisonnable, à la demande de justice.
Dans ce contexte, confrontée à de véritables appels au secours de collègues subissant une charge de travail insupportable, contraints de sacrifier leur vie personnelle et familiale et soumis à des exigences statistiques inconciliables avec un travail de qualité, l’USM a décidé de poursuivre sa réflexion sur la souffrance au travail des magistrats, à partir de leurs témoignages.
À la connaissance de l’USM, aucune enquête généralisée et d’envergure n’a jamais été faite auprès des magistrats, et plus généralement des personnels de justice, sur la perception qu’ils ont de leurs conditions de travail.
Pour dresser un bilan précis de l’état du corps, l’USM a demandé, dans le cadre de cette étude, au mois de septembre 2014, à la Direction des services judiciaires de lui communiquer plusieurs indicateurs chiffrés, concernant les magistrats et les fonctionnaires, relatifs aux :

  • nombre de postes vacants dans chacune des juridictions, c’est-à-dire de postes non pourvus par rapport à la CLE (Circulaire de localisation des emplois) de 2014,
  • nombre et pourcentage de temps partiels et de congés divers,
  • nombre et durée des arrêts de maladie au cours des trois dernières années, en-dehors des congés de maternité.

Malgré des demandes renouvelées, l’USM n’a reçu aucune réponse écrite. Elle en déduit soit que le ministère ne dispose pas de tous ces indicateurs, pourtant indispensables à l’évaluation des conditions de travail des magistrats, soit que les réponses à ces interrogations sont révélatrices d’une situation tellement catastrophique que la chancellerie se refuse à les communiquer.
L’USM a recueilli une centaine de témoignages de magistrats exerçant en métropole et outre-mer.
Ces collègues qui ont décrit courageusement et sans fard leurs difficultés au travail ont des parcours divers.
Certains viennent de sortir de l’ENM, d’autres parviennent à la fin de leur carrière. Ils sont magistrats du parquet ou du siège, dans les TGI ou les cours d’appel. Tous ont souhaité que leurs témoignages demeurent anonymes. D’autres, craignant le regard de leurs collègues et plus encore de leur hiérarchie, ont voulu contribuer à la réflexion sans que leurs témoignages soient publiés.
C’est une grande désillusion qu’ils expriment alors que leur engagement professionnel est immense et leur attachement à la profession incontestable. Ils ne parlent pas seulement de leur vécu personnel mais décrivent des situations qui intéressent d’abord et prioritairement l’organisation et les conditions dans lesquelles la justice judiciaire est rendue actuelle- ment : au prix d’un engagement sans faille mais qui devient démesuré.
Au-delà de chaque situation individuelle exprimée dans ces témoignages, c’est un cri d’alarme que l’USM lance face à des conditions de travail dégradées tant pour les magistrats des juridictions que pour les chefs de ces juridictions, souvent tenaillés entre des impératifs contradictoires, et sans oublier les personnels de greffe qui travaillent à leurs côtés et sont soumis à des contraintes du même ordre.
La présente étude livre en premier lieu des témoignages qui expriment les différents symptômes de cette souffrance au travail (I) Les prénoms, les fonctions, les juridictions ont été modifiées, afin de respecter le désir d’anonymat des témoins. La dureté des conditions d’exercice imposées à certains magistrats diffuse une charge émotionnelle qui ne peut laisser insensible.
Il s’agira ensuite de tenter d’identifier les causes de ces difficultés (II). Elles se situent dans l’absence de réponses adéquates aux questions sur les conditions et l’organisation du travail. Elles proviennent parfois d’un management inadapté des chefs de cour et de juridiction qui sont souvent insuffisamment formés à cet aspect de leurs fonctions. Elles résultent enfin d’une gestion du corps par la Direction des services judiciaires qui, malgré certains efforts, ne prend pas encore assez en compte les situations individuelles des magistrats.
Face à ces problèmes, il existe des solutions tant sur le plan individuel que sur le plan collectif (III). Elles impliquent que chaque magistrat prenne conscience qu’il est anormal de souffrir à cause du travail et qu’il doit faire respecter les règles régissant ses conditions de travail.
Livre blanc à télécharger sur le site https://www.union-syndicale-magistrats.org/web2/themes/fr/userfiles/fichier/publication/livre_blanc_2018/livre_blanc_souffrance.pdf

ou ici

Souffrance au travail des magistrats

 

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